Il y a 6 mois jour pour jour, je publiais un édito Quel sport en 2030 2 scénarios post covid-19 ? Le scénario de l’implosion-explosion et celui de la raison
J’écrivais « c’est la capacité des acteurs à s’organiser pendant cette période cruciale qui déterminera les scénarios de sortie de crise ».
6 mois après, le constat est terrible. Les acteurs n’ont pas anticipé
la seconde vague de la crise sanitaire et donc ils la subissent de plein
fouet.
On aurait pu imaginer pendant l’été qu’un travail collectif soit
conduit sous l’égide de l’Agence nationale du sport, c’est pour ça
qu’elle a été créée ! C’est clairement indiqué dans ses statuts : « un
modèle partenarial entre l’Etat, le mouvement sportif, les collectivités
territoriales et leurs groupements et les acteurs du monde économique,
dans le cadre d’une profonde évolution du modèle sportif français, dans
le respect du rôle de chacun ».
Mais non rien. Aucune vision, aucune stratégie, aucune anticipation.
Un ministère des Sports à la ramasse
Côté ministère des Sports, on ne reviendra pas sur les multiples
couacs liés à la publication des guides inapplicables pour la pratique
post confinement, sur des annonces de la Ministre contredites le
lendemain par le Premier ministre... On ne peut que constater un manque
d’anticipation qu’il s’agisse de la préparation du déconfinement ou de
celle du reconfinement.
« Le sport n’est pas la priorité du gouvernement », avait annoncé la ministre des Sports dès la mi-avril. Prémonitoire !
Cet avis était partagé par les Français puisque 58 % d’entre eux
souhaitent que le sport garde la même place dans la société post covid.
Seuls 14 % souhaitent que le sport ait une place plus importante, 28 %
qu’elle le soit moins.
-> A lire : Un sondage qui plante le plan de relance dans le sport ?
On a compris que le ministère des Sports n’avait pas la main. Qu’il
s’agisse de peser sur la pratique sportive ou les finances, c’est Bercy
et le ministère de la Santé qui tiennent les rênes.
La crise sanitaire n’a certes pas favorisée le positionnement de la
Ministre, mais on pouvait imaginer un Ministère qui se projette, qui
donne envie et propose de l’espoir et pas uniquement à travers les JO.
Hélas nous restons au stade des nécessaires aménagements à la crise, de
la gestion du quotidien et encore, bref dans l’opérationnel. Quid d’une
vision stratégique pour après ? Quid d’une réflexion sur des scénarios
comme nous essayons de le faire ? Quid du débat ? Nous craignons que le
Ministère se contente d’un rôle de super-technicien : un peu juste pour
faire face aux éléments et tenter de les dominer... un jour.
La supplique du mouvement sportif
Face à ce manque de considération, un appel aux dons a lancé avec
l’opération « Soutiens ton club ». Appel aux dons relayé il faut le
signaler par l’ensemble des acteurs du sport (ministère des Sports,
Fondation du Sport Français, Comité National Olympique et Sportif
Français, Comité Paralympique et Sportif Français, Agence Nationale du
sport et les associations représentant les collectivités locales (AMF,
ANDES, Association de départements de France, région de France, France
urbaine).
On avait indiqué à l’époque que « le montant des dons sera certainement un bon indicateur du poids des clubs sportifs dans le cœur des Français ». Le résultat est là : une mobilisation très faible avec seulement 1 million de dons au bout de 6 mois.
Une opération qui rappelle celle de la pétition du mouvement sportif
pour peser sur le budget du sport #leSportCompte qui avait fait un flop.
Un boulet que le mouvement sportif traîne depuis le début de mandat.
« Désemparé » le mouvement sportif en a appelé au président Macron et a lancé un SOS le 26 octobre : rien ne va plus pour le mouvement sportif.
Et pour appuyer sa démonstration il a mis en place une enquête
nationale pour évaluer les conséquences liées à la crise sanitaire, que
ce soit sur les licences, l'activité régulière ou les ressources des
clubs.
-> A lire : Pour convaincre Bercy, le CNOSF lance une enquête auprès des clubs
Les clubs ou les fédés en danger ?
Etait-il plus judicieux de commencer par l’enquête pour en tirer les
conséquences et ensuite en appeler au président de la République ? Nous
le pensons. D’autant plus qu’une étude récente du même comité olympique,
le modèle économique des clubs sportifs fédérés, démontrait
que la moitié des clubs étaient en difficulté avant le covid et que
seulement 12 % étaient des clubs employeurs. Difficile dans ce contexte
de convaincre Bercy, d’autant plus que les clubs bénéficient des mesures
de droit commun. Nous pensons que les fédérations sont plus en danger
que les clubs. En effet, grâce au bénévolat les clubs se montreront
résilients. Plus compliqué pour les fédérations avec un niveau de
charges fixes important…
Le sport pro en quasi burn-out
En permettant aux clubs pros de poursuivre le championnat en jouant à
huis clos, le gouvernement a-t-il précipité le sport professionnel vers
la crise ? C’est paradoxal mais c’est la réalité. D’ailleurs ce choix
a-t-il était concerté et étudié ? Impossible pour le foot de se mettre à
la faute vis-à-vis de Médiapro. La messe était dite ! Show must go
on...
La réalité c’est qu’en permettant la continuité du sport professionnel,
le Ministère prive les clubs d’un éventuel chômage partiel. En
l’absence de recettes liées au matchs, cette situation est intenable
pour certaines disciplines celles les moins subventionnées et les moins
concernées par les droits TV : le basket et le rubgy en particulier.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a demandé l’autorisation à la Commission européenne de créer un fonds d’aide au sport professionnel pour atténuer les conséquences du huis clos.
Mais ces 6 mois ont exacerbé toutes les tensions possibles et
imaginables. Tensions entre les dirigeants des clubs de foot par rapport
aux calendriers. Seul le retrait annoncé de Médiapro leur a permis de
trouver un bouc émissaire commun. Tensions entre la ligue nationale de
rugby et la fédération qui ont eu carrément recours à l’avis du Conseil
d’Etat. Incapacité pour les disciplines de sport de salles de porter un
message commun.
La gouvernance du sport sur les territoires : une usine à gaz sans gaz…
Quant aux collectivités territoriales, leur cohésion a explosé dès la
remise du rapport « Gouvernance du sport ». Incapable de tenir une
position commune, souhaitant que chaque niveau de collectivités
territoriales ait une place d’honneur au sein de la conférence régionale
du sport et au sein de la conférence des financeurs, leurs
représentants ont passé plus de temps à discuter de la représentation de
chaque niveau de collectivités plutôt que du rôle des conférences. Les
expérimentations annoncées n’ont jamais été conduites, la mission Dirx
Dussot très critique n’a pas remis son rapport au premier ministre qui a
lui même présidé à cette usine à gaz en tant qu’ancien président de
l’agence.
Résultat personne ne sait comment va fonctionner cette gouvernance.
… un CNDS territorial bis avec 10 fois moins de moyens qui coûtera 10 fois plus cher
« Ces conférences seront donc à minima les ex-commissions du CNDS en
format néanmoins rénové avec toutes les strates de collectivités, les
représentants du monde économique et avec pour ambition de lier un
diagnostic de fond sur les besoins de développement du sport dans le
territoire avec la répartition des crédits territorialisés de l’Agence »
déclare Frédéric Sanaur dans une interview à paraître dans le prochain
dossier d’Acteurs du Sport.
Et voilà ! On y est. Tout ça pour ça ! Quand on sait qu’il est envisagé
une conférence des financeurs par département, on mesure le coût de
cette usine à gaz alors que contrairement au CNDS, les fédérations ont
mis la main sur les subventions aux clubs qui étaient avant distribuées
par les commissions territoriales du CNDS. Un comble.
Le combat du secteur privé
Pas épargné par la crise, le secteur privé du sport a tenté de
convaincre. Et pourtant, tous les protocoles ont été respectés, aucun
cluster n’a été déclaré dans les salles de sport. Une tribune dans le
JDD signée par Zidane, Diagana, n’y a rien fait. Alors qu’un consensus
est clair sur le fait que l’activité physique permet de développer
l’immunité. En vain.
« Le sport n’est qu’un mot »
Durant les 6 mois « Chaque acteur a joué sa propre partition »
(première phrase pour décrire le scénario de l’implosion-explosion).
Mais sincèrement, je ne pensais pas que ça irait aussi vite. Finalement
la révolution annoncée par L Flessel a laissé place à l’implosion du
modèle sportif français. Peut-on parler encore d’un modèle ? Non. Comme
le disait Pierre Bourdieu à propos de la jeunesse[1], ces 6 mois ont démontré « Le sport n’est qu’un mot »
Les acteurs du sport peuvent-ils se rassembler en vue de 2024 pour
pouvoir encore croire dans un modèle sportif, porter une vision commune
faire du sport un bien commun ? (cf le rapport sur la gouvernance du sport). Ce sera l’objet de notre prochain édito.
[1] Entretien avec Anne-Marie Métailié paru dans Les jeunes et le premier emploi, Association des Âges, 1978